jeudi 12 février 2015

Interview de Valérie Belmokhtar



Une interview en forme d'incursion parmi les images et les pensées de Valérie Belmokhtar. Ou la visite d'un jardin intérieur comme cheminement  parmi les liens fertiles entre matière et monde imaginal.

Pouvez-vous nous parler d'un souvenir dont vous pensez qu’il aura beaucoup marqué votre pratique artistique ?

La pratique du dessin et du modelage dans un atelier d’arts plastiques le mercredi après-midi dès mon entrée au collège, cela m’a ouvert tout un monde, j’y allais en courant. Avant cela il y a eu une visite en classe de CP au Centre Georges Pompidou à Paris, j’ai eu un grand choc en voyant la grotte de l’artiste Dubuffet,  un dessin dans lequel on pouvait entrer en quelque sorte puisqu’il s’agit d’une grotte dessinée en volume, et aussi quand j’ai vu toutes les peintures modernes, j’ai eu le sentiment très fort que j’avais enfin trouvé ma « maison », c’est à dire l’art comme maison.

Existe-t- il un lieu particulièrement important pour vous ?

Il y en a quelques uns : les lieux sont comme des personnes pour moi. Je m’attache à certains endroits. J’ai été prise d’affection pour des lieux pendant mes voyages ou des périodes de ma vie qui a été assez nomade. Je suis également attachée aux jardins d’une façon très particulière et au lieu où je vis actuellement à Paris qui est un vrai point d’ancrage. Je retiendrai le jardin comme lieu important pour moi. J’y vais aussi souvent que possible (tous les jardins que je croise).


Une maison particulière ?

Cette maison de mes parents dans l’Isère dans un petit village où je vais toujours depuis l’enfance, et où mon père vit actuellement. C’est un havre de paix. C’est l’endroit où je me ressource, il n’y a pas internet ni de téléphone et on y mange les tomates du jardin. La maison est remplie de nos objets et livres de quand on était petit, des tas de choses qui nous rappellent des moments de vie, c’est infiniment précieux et inspirant.

Quel est le type de paysage qui vous parle le plus ?

Le jardin en premier mais la mer, la forêt et aussi les villes. Je n’arrive pas à en choisir un seul !

Quelle enfant étiez- vous ?

J’étais calme, rêveuse, je lisais et dessinais toute la journée. Je regardais des dessins animés aussi, ce qui m’a certainement donné le goût des personnages et du dessin. J’étais très contemplative, je collectionnais les papiers, je jouais du piano et j’adorais raconter des trucs dans des cahiers que j’illustrais avec des dessins. Je n’ai pas l’impression d’avoir tellement changé !

Un livre important ?

La montagne magique de Thomas Mann m’a beaucoup marqué à 20 ans mais ces dernières années la relecture des Métamorphoses d’Ovide a joué un rôle important dans ma pratique. Les textes mythologiques et fondateurs, les poèmes japonais et tous les livres sur les jardins/la botanique me passionnent.


Une musique ? 

Les Gnossiennes d’Eric Satie. J’écoute aussi du rock, de l’électro, de la pop.

Un animal totem ?

L’oiseau sous toutes ses formes me fascine.

Quel genre de plantes ou d'arbre seriez- vous ?

Un olivier peut être ou un pin nuage !

Pensez-vous avoir une âme sœur ?

Oui mon compagnon qui est batteur. Sa façon de jouer de la batterie est très puissante et presque tribale, la première fois que je l’ai vu et entendu jouer, je me suis dit que sa pratique de la musique qui est comme rituelle et transcendantale était proche d’un sentiment familier que je ressens quand je dessine, grave ou peins. Avoir une âme sœur cela peut s’incarner dans l’amour mais aussi dans certaines amitiés très fortes je pense, lorsque deux âmes peuvent communiquer sans forcément parler et se comprennent.

Quelle est la saison qui vous inspire le plus ?

Le printemps.

Pourriez-vous nous décrire votre rapport à la matière et aux éléments, que ce soient ceux avec lesquels vous travaillez ou plus largement ceux qui vous entourent ?

Mon rapport à la matière et aux éléments est fusionnel, quand je suis inspirée, j’ai des sensations de ne faire qu’un avec le monde qui m’entoure et d’absorber certains éléments que l’on retrouvera directement dans mon travail de création. Il y a une sorte de porosité entre ce que je vois et ressens (incluant les odeurs, les sons, le goût, les couleurs, le toucher, la mémoire, les souvenirs et les images) et la création que je vais faire. C’est un rapport que je considère comme très complet et je m’émerveille chaque jour d’avoir cette chance de pouvoir vivre cela quotidiennement, ce rapport au monde. C’est une liaison entre un monde concret et un monde spirituel, une sorte d’arbre magique avec des tas de ramifications, je ne pourrai jamais m’en passer. J’ai l’impression que mon corps est une sorte de réceptacle fantastique pour créer en lien direct avec le monde qui l’entoure, j’ai mis du temps à en prendre pleinement conscience mais cela a toujours été là. Cette fusion avec la « nature » et ce qui nous entoure au sens large est une source de bien être incroyable. Avoir des « capteurs » en étant artiste, je considère cela comme une chance inouïe. Je sais que d’autres personnes ressentent aussi cela à travers d’autres métiers ou activités d’ailleurs. C’est tout simplement humain mais encore faut-t-il en prendre conscience.

Robe de pluie, acrylique sur toile, 2014

A quel moment viennent vos images, les visions qui donneront naissance à vos oeuvres, dans quelle sorte de moment ?

Cela peut venir à tout moment et de façon incongrue. En général, j’essaye de fixer alors ces visions dans un carnet pour les réutiliser plus tard. J’ai quand même remarqué que les visions ou images me venaient beaucoup dans des moments de rêverie, quand je me déplace ou dans mon sommeil. C’est à dire dans des moments de repos et de relâchement plutôt. J’arrive parfois à faire coïncider mon inspiration, ma vision et l’acte de créer en même temps mais ce sont des moments précieux, ce n’est pas tout le temps.

Rêve racine, dessin encre de chine, feutres, peinture sur papier du Vietnam

Dessinez- vous et quelle place a le dessin dans votre travail ?

Je dessine beaucoup et depuis toujours, j’ai rempli des centaines de carnets. Le dessin est à la fois un moyen de réaliser des œuvres « finalisées » pour moi (dessin à l’encre par exemple ou illustrations) mais aussi une pratique très présente pour nourrir mon inspiration et mes gravures. Je dessine de tout et avec toutes sortes d’outils dans mes carnets, c’est l’aspect intime de ma pratique. Je dessine aussi sur de grands papiers, uniquement quand cela me vient avec une plume et de l’encre de chine sans aucune esquisse préalable. J’adore ce genre de « saut dans le vide » sur la page blanche, cela m’a toujours plu. Je fais parfois pareil avec les gravures, en dessinant directement à la pointe sèche. Pour les peintures sur toiles, je ne fais jamais d’esquisses, je peins directement, ma pratique du dessin est donc variable.

Décrivez-nous votre dernière pièce.

Un ange féminin sur fond noir. C’est une gravure, j’ai repris une gravure que j’avais déjà faite en la redessinant entièrement sur une nouvelle plaque mais je voulais essayer une autre façon en inversant et en mettant un fond noir. Je travaille sur plusieurs choses en même temps j’ai aussi plusieurs peintures, illustrations,  gravures et livres d’artistes en chantier.

Ange - pointe sèche sur papier Arches

Pouvez- vous nous parler de vos prochain projets ?

Un bébé attendu pour la fin du printemps !
Et aussi des expositions. En ce moment j’expose des gravures avec d’autres artistes avec la galerie Nathalie Bereau à Chinon au Chai Couly jusqu’au 12 Avril. Ensuite une exposition solo peut être bientôt à Paris qui est en discussion. Je prépare de nouvelles gravures et illustrations pour un projet de livre et je finalise des livres d’artistes déjà imprimés en gravure. J’ai aussi des peintures sur toile en cours, une nouvelle série.

Mon rêve - Livre d'artiste exemplaire avec découpe, pointe sèche, 2014
Mon rêve, détail du livre, pointe sèche, 2014

Y-a-t-il une question que l’on de vous a jamais posée et à laquelle vous aimeriez répondre ?

C’est fort probable, il faut que je la trouve.