dimanche 1 février 2015

Interview de Nathalie Malric


Brins de paille fine, filaments d'or, parcelles de trésors... Les visions de Nathalie Malric, et quelques pensées qu'elle dévoile dans cette interview Pollen

Pouvez-vous nous parler d'un souvenir dont vous pensez qu’il aura beaucoup marqué votre pratique artistique ? 

Ma mémoire est imprégnée des films et dessins animés que je demandais à mon père d'enregistrer quand j'étais enfant, sur un énorme et bruyant magnétoscope. Le boucan que ça faisait quand on rembobinait !!! Parmi eux, Le Petit Poucet de Michel Boisrond et Peau d'âne de Jacques Demy, que j'ai visionnés inlassablement, un nombre incalculable de fois. Je continue à les regarder. Leur poésie, leur mystère, leur féérie dépourvue de mièvrerie sont des références pour moi. J'adorais le dessin animé Albator. Les personnages de cette série exerçaient sur moi une fascination qui perdure encore aujourd'hui, j'étais comme ensorcelée par leur grâce et leur fantaisie.
J'ai aussi beaucoup regardé l'adaptation cinématographique des Misérables par Robert Hossein. Sa musique me bouleverse toujours. J'en garde des souvenirs de boue sur des vêtements en lambeaux, des visages souillés de personnages dont la beauté irradiait, même dans le plus grand dénuement. Cela a déterminé ma quête de sens et de beauté, là où on ne pense pas forcément les trouver, dans des recoins délaissés par les diktats et standards actuels.
  
Existe-t-il un lieu particulièrement important pour vous ?
 
Ma maison. Je pourrais rester enfermée chez moi des jours, des mois durant sans sortir, sans voir personne, pourvu que j'aie de quoi me sustenter et créer. Mon univers intérieur (spatial et spirituel) me suffit.
  
Une maison particulière ?
  
La mienne, justement. Ici j'ai de la place pour créer, rêver... J'y ai réuni des objets que j'ai chinés dans les brocantes depuis que je suis adolescente, des œuvres d'amis artistes, c'est un peu comme s'ils veillaient sur moi. Je me sens entourée de beauté bienveillante, enveloppante et inspirante. La nature aussi me fait des cadeaux immenses. Je découvre parfois dans mon jardin des trésors cachés, imperceptibles, comme ces toiles d'araignées qui sont de petits bijoux de tissage et d'architecture d'une délicatesse et d'une complexité inouïes. Je prends le temps de m'arrêter, observer, apprécier, contempler... 

  
Quel est le type de paysage qui vous parle le plus ?
  
Je suis toujours très émue à la vue d'un paysage en ruines. Il est le souvenir de ce qui a été, et la promesse de ce qu'il pourrait être, en renaissant de ses cendres. Il est porteur d'une histoire, et ses vestiges, souvent beaux même dans le plus grand délabrement sont une source d'inspiration pour moi. J'ai vu des images de parc d'attractions abandonnés, j'adorerais m'y rendre et les photographier.

Quelle enfant étiez-vous ?

J'étais une enfant à la fois d'une timidité maladive et très dissipée. Je bougeais tellement en classe qu'il m'arrivait de tomber de ma chaise. J'avais peu d'amis, je n'étais pas intégrée dans les groupes, et j'observais les autres enfants avec beaucoup de recul. J'avais l'impression de ne pas faire partie du même monde. A l'époque, être asiatique dans une ville de province était très rare. 
Je me réfugiais dans mon imaginaire et m'inventais des histoires. J'adorais me déguiser, j'avais une corbeille géante en osier dans laquelle étaient rassemblées toutes mes robes (de princesse et de souillon), dont quelques unes que je cousais moi-même. Je m'imaginais princesse sur un radeau en naufrage, ou fée envoyée en mission sur Terre qui devait s'accommoder du quotidien des humains. J'avais hâte de devenir adulte, d'être autonome, indépendante, libre de faire mes propres choix, car je contestais souvent ceux que les adultes faisaient pour moi. J'ai eu beaucoup de mal avec le système scolaire, sa hiérarchie, j'ai été témoin d'humiliations et injustices qui m'ont beaucoup marquée.

Un livre important ?

Le Grand Meaulnes. Je devais le lire pour un cours de Français, au collège. C'était la corvée. Je m'y suis pris la veille. Et finalement je l'ai lu d'une traite, en une nuit. Je garde un souvenir émerveillé de la description de l'errance nocturne d'Augustin, du domaine mystérieux, et d'Yvonne de Galais, dont les "chevilles étaient si fines qu’elles pliaient par instants et qu’on craignait de les voir se briser." Pendant très longtemps, je me suis refusée à regarder les adaptations cinématographiques qui en avaient été faites, car je savais que je serais déçue, qu'elles ne pouvaient correspondre à l'idée fantasmée que je me faisais des lieux, des personnages ...


Une musique ?
  
Celle de Michael Jackson, dont je suis devenue fan au début des années 90. Elle a accompagné mon adolescence et elle fait définitivement partie de ma vie. Quand j'ai emmenagé dans ma nouvelle maison, j'ai déballé mes cd, et c'est en écoutant les albums Off the wall et Thriller que je me suis sentie totalement chez moi. 
  
Un animal totem ?
 
Le chat. C'est un animal d'une grande élégance. La compagnie d'un chat vous environne de beauté et de sérénité. J'adore les photographier. Un jour je ferai une chose un peu ringarde : je réaliserai un calendrier avec des chats !!!

Quel genre de plantes ou d'arbre seriez-vous si vous n’étiez pas humaine ?
  
Je serais une orchidée (fanée) ou une dentelle d'hortensia. Les fleurs sont une de mes plus grandes source d'inspiration. Je les aime fanées, voire desséchées, quand elles sont presque méconnaissables et ne ressemblent plus vraiment à l'image stéréotypée que l'on a d'elles.


Pensez-vous avoir une âme sœur ?
  
Pour en être sûre il faudrait que je sois aussi la sienne.
  
Quelle est la saison qui vous inspire ?
  
Je ne me sens pas particulièrement influencée par une saison mais j'aime le printemps, l'idée d'un renouveau, et me réjouir de photographier à nouveau des tulipes perroquet, des pivoines coral sunset et de bientôt me régaler de melons et cerises noires.
  
Pourriez-vous nous décrire votre rapport à la matière et aux éléments, que ce soient ceux avec lesquels vous travaillez ou plus largement ceux qui vous entourent ?
  
Les éléments n'ont pas d'influence directe sur moi, dans le sens où je n'en ai pas conscience, C'est plutôt la matière qui découle de ces éléments. La matière est le cœur de mon travail, qu'il s'agisse de photographie, de couture, de broderie, de sculpture ... Toute matière peut m'inspirer ou m'interpeller, à partir du moment où elle nourrit mon travail. Cette matière peut être organique, l'oeuvre de millions d'années par la nature, un objet manufacturé, le fruit du travail d'un artisan ou d'un artiste... J'aime la matière, qu'elle soit brute ou délicate, sophistiquée ou décrépie, à partir du moment où elle me renvoie à ces notions d'intemporalité, d'authenticité, et de beauté, qui sont somme toute très subjectives.


A quel moment viennent vos images, les visions qui donneront naissances à vos œuvres ?

La plupart de mes images naissent à la vision d'une matière, d'un objet ou d'un être à partir duquel tout va s'enclencher. Le sentiment d'empathie, même pour un objet, est le moteur de toute création me concernant. Ces images peuvent être exponentielles, obsessionnelles, et empêcher toute gestion raisonnable des nécessités et obligations du quotidien. Le temps peut passer très vite quand je suis plongée dans ces images. Un jour est une heure.
  
Dessinez-vous et quelle place a le dessin dans votre travail ?

Le dessin me sert à mémoriser et fixer mes idées d'une manière plus visuelle, moins abstraite que la description écrite. Toutefois il n'est pas assez bon pour être considéré en lui-même comme un travail artistique. J'aurais aimé savoir peindre, dessiner. Si cela avait été le cas, je ne serais certainement pas photographe. Au fil du temps, j'aborde la photographie d'une manière de plus en plus picturale, son traitement se rapproche de plus en plus de la peinture ou du dessin.


Décrivez-nous votre dernière pièce.

J'ai repris la sculpture, et travaille sur des vanités et l'utilisation de matières organiques telles que des bois de cerf. Plusieurs métiers interviennent dans cette création : la sculpture, la couture, la broderie, la peinture ... J'ai envie de travailler en volume, et de réunir tous les savoirs que j'ai acquis au fil des années, dont certains que j'ai un peu délaissés, et dont la pratique me manque.
  
Savez-vous quelle sera votre prochaine aventure ?

J'en ai une petite idée, et en même temps aucune. La vie m'a menée vers des sentiers inconnus et j'en suis très heureuse.
  
Y-a-t-il une question que l’on de vous a jamais posée et à laquelle vous aimeriez répondre ?

"Veux-tu me remplacer la nuit du 24 au 25 décembre ?", si elle vient de Laponie...